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24 nov. 2022
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Plus des deux tiers des vêtements neufs vendus sont des produits d'entrée de gamme: un défi pour la recyclabilité et la réparabilité

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24 nov. 2022

A compter du 1er janvier, dans le cadre de la loi Agec, la traçabilité des produits textiles va être renforcée avec l’obligation pour les metteurs en marché (producteurs, distributeurs mais aussi importateurs) de préciser les pays où sont réalisées les étapes de production du vêtement. Et cette avancée n’est pas la seule transformation réglementaire que va vivre le secteur du textile-habillement, du linge de maison et de la chaussure dans les prochaines années. La prise de conscience autour de l’impact environnemental du secteur est de plus en plus prégnante et le cadre concernant le recyclage et la réparation des produits va devenir plus concret très prochainement.


Shutterstock


Refashion, l’éco-organisme de la filière TLC (textile, linge, chaussure) en France, va être une cheville ouvrière de cette transformation, notamment en organisant la collecte, le tri et le recyclage des produits. Et va devoir appliquer la nouvelle feuille de route définie par le gouvernement sur ces sujets. Toutefois, une étude réalisée par Kantar pour Refashion met en avant un frein majeur: la prédominance des produits d’entrée de gamme dans les volumes neufs vendus chaque année.

"Avec les évolutions du secteur liées à la loi Agec et le projet d'agrément, cette étude nous a permis d'identifier si les résultats côté consommateurs étaient alignés avec notre perception", explique Sandra Baldini, directrice marketing et communication de Refashion.

Le panéliste Kantar a interrogé 12.500 individus sur leurs comportements d’achat de produits mode. Et si l’impact RSE d’un produit est pris en compte par une part de plus en plus importante de consommateurs, le prix reste un élément essentiel dans l’acte d’achat; donnée qui ne devrait pas faiblir dans un contexte inflationniste de l'économie.

Aussi Kantar relève que, pour l’année 2021, 70% des volumes d’achat du marché TLC se concentrent sur les produits d’entrée de gamme, 27% sur du moyen de gamme et 3% sur du haut de gamme. Alors que le luxe truste les pages de publicité et les panneaux d’affichage, l’essentiel de la consommation d’articles de mode se concentre sur des produits de moins de dix euros.

"Nous voulions mieux
cerner de quels types de produits il est question et les flux potentiels. Mais aujourd'hui, au-delà de l'info tri, je ne sais pas dire quelle part des 70% des produits d'entrée de gamme est recyclable", constate Sandra Baldini, qui souligne qu'une étude est lancée sur ces sujets et devrait apporter plus de visibilité courant 2023.

Le prix moyen d'achat d'un article de prêt-à-porter est de 18,9 euros en France



Kantar relève que le prix d’achat moyen d’un produit neuf d’entrée de gamme est de 8,20 euros, celui d’un produit moyen de gamme de 24,20 euros et celui d'un produit haut de gamme de 62,40 euros. L’étude souligne que sur un marché de trois milliards de pièces en France, le prix moyen d'un article de prêt-à-porter est de 18,9 euros et de 31 euros pour une paire de chaussures.
 
Kantar rappelle que les acteurs du petit prix sont actifs depuis plus de cinquante ans, avec des acteurs du discount comme Tati ou Babou, mais qu’une accélération s’est produite, d’abord avec le développement de la fast-fashion comme le suédois H&M ou l’irlandais Primark, et encore plus récemment des acteurs de la vente en ligne comme Amazon ou le chinois Shein.
 
"Au cours de ces dernières années, la clientèle de ces enseignes dites low cost s’est élargie au-delà des acheteurs les plus modestes. Les prix toujours plus attractifs séduisent une majorité des Français, qui reviennent acheter fréquemment. Cette tendance a pour conséquence une perte de repères sur la valeur des produits et des référentiels de prix très (trop) bas, non sans un impact économique, social et environnemental. Parmi les dix enseignes (Action, Primark, Kiabi, Lidl, Zeeman, Shein, Stokomani...) de plus en plus plébiscitées pour les achats neufs des Français ces dix dernières années, 70% proposent un prix moyen d’achat par article inférieur de 25% à 85% au prix moyen du marché".
 
Cette multiplication de prix bas fait qu’en moyenne un Français achète trente-six vêtements ou accessoires textiles, quatre paires de chaussures et cinq pièces de linge de maison dans l’année. Ce sont quatre pièces de plus qu’il y a sept ans, constate Refashion. Le nombre de pièces en croissance semble plaider en faveur des partisans du "moins mais mieux".

"Avec ces importants volumes, plus que la question de la qualité, car certaines pièces d'entrée de gamme sont de qualité, cela pose la question de l'attractivité de ces produits pour une seconde vie, avance Sandra Baldini. Les fonds réemploi et réparabilité vont être dotés mais on peut s'interroger sur l'attractivité de ces produits pour une réparation ou une seconde vie. Cela concerne l'ensemble de la filière et il y a des investissements à réaliser. Mais il faut des dispositifs bien calibrés."

Concrètement, en quoi l’augmentation de ces volumes pose-t-elle problème à Refashion? Avec l’essor de la seconde main, les meilleurs produits ne passent plus par les centres de collecte. Des intermédiaires comme Vinted, mais aussi directement les marques qui développent leur propre interface, travaillent sur les volumes du haut de gamme et du moyen de gamme. Pour les acteurs historiques de l’économie sociale et solidaire, la "crème" (les meilleures pièces) s'est donc réduite.

Et là où de nombreuses marques haut de gamme et moyen de gamme ont souvent amorcé des travaux sur le volet des matières responsables, la recyclabilité des produits d’entrée de gamme est loin d’être acquise, avec souvent des mélanges de matières que l’on ne peut pas recycler.


Analyses du prix moyen des pièces neuves par catégorie de produits - Kantar-Refashio


La production des produits d’entrée de gamme à 13 euros pour une chemise, 14 euros pour un pull, 15 euros pour une robe ou 22 euros en moyenne pour des chaussures, va nécessiter une remise en question du cycle de production, et même l’introduction de l’écoconception, pour proposer des produits plus durables et correspondants aux futurs critères et normes. Cela impliquera une hausse des coûts pour des sociétés qui, dans un contexte où le bas prix est encore plus recherché par le consommateur, auront de grandes difficultés à engager ces changements.

D'autant que la société d’étude et de conseil Kantar constate que le désir de consommer de manière plus responsable ne concerne qu'une minorité de Français. "Et le sujet du prix est encore plus présent actuellement avec une compression forte du pouvoir d'achat, appuie Hélène Janicaud chez Kantar, qui suit de près la consommation mode et les enseignes et marques du secteur. En revanche, la consommation de seconde main s'affirme. L'autre élément est la montée en puissance de la réparation. Nous avons réalisé une étude en début d'année et nous avons été très surpris car un quart des Français se dit prêt à faire réparer ses produits."

C'est donc un autre impératif: la réparabilité des produits. Sauf que réparer un produit d’entrée de gamme coûte plus cher qu’en acheter un neuf. Pour un vêtement, un produit neuf coûte en moyenne 12,50 euros … et le coût moyen d’une réparation est de 20 euros, avancent Kantar et Refashion. Avec 70% de produits d'entrée de gamme dans les ventes, comment développer la réparabilité?

"Suite à l'étude réalisée cet été, nous avons mis en place des groupes de travail pour trouver comment lever les freins pour la réparabilité des produits, affirme Sandra Baldini. Notre objectif final est d'étendre la durée de vie des produits. Et ensuite de pouvoir les recycler. Nous devons identifier les différents leviers de soutien pour développer la réparabilité. Il y a besoin d'un accompagnement, un soutien pour le consommateur qui serait de l'ordre de 25% à 30% du prix. On voit qu'à 10%, ce n'est pas un élément déclencheur. C'est là aussi que les marques et metteurs en marché ont un rôle clé. Je pense que l'avenir passe pour eux par le développement de solutions de réparation, en direct ou via un réseau de tiers, mais aussi par l'introduction sur le marché de produits conçus pour être réparables. L'éco-modulation pourra inciter ces meilleures approches."

Dans un contexte économique tendu et avec le défi d’un accompagnement de l’évolution des habitudes de consommation, l’industrie du tri et du recyclage semble attendre un appui fort pour parvenir à accélérer sa transformation.

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