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Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
1 févr. 2023
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Ditte Reffstrup (Ganni): "Nous avons choisi une croissance durable et responsable, sinon nous pèserions le double aujourd’hui"

Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
1 févr. 2023

Plus que quelques heures avant le prochain défilé de Ganni, qui aura lieu jeudi 2 février à Copenhague. Et la pression est grande: cette présentation est attendue au tournant par la communauté de la mode danoise. En coulisses, FashionNetwork.com décode les clés du succès de cette marque scandinave fondée en 2009 par Nicolai et Ditte Reffstrup.

C’est cette dernière, directrice artistique, qui nous reçoit au quartier général de la maison, lors d’un après-midi pluvieux. Le bâtiment de quatre étages est situé à côté de la boutique de la griffe, au 4 rue Bremerholm, une artère commerciale centrale de la capitale danoise. C’est là que les projets de Ganni prennent forme et que sont imaginés les fameux vêtements teintés d’optimisme du label. En pleine séance de casting des mannequins du défilé, entourée de moodboards, de polaroïds et d’esquisses en tout genre, Ditte Reffstrup nous accueille avec enthousiasme.


Ditte Reffstrup - Ganni


La perspective du défilé qui approche à grands pas ne paraît pas affecter outre mesure l’entrepreneuse, qui a d’abord fait une longue carrière en tant qu’acheteuse. Son équipe, elle aussi, semble décontractée. La normalité règne et la machine semble bien huilée. Dans les bureaux colorés de la marque, Ditte Reffstrup nous fait part de sa vision de l’industrie, de son modèle d’activité et des perspectives d’avenir de sa poule aux œufs d’or.

Les résultats parlent d’eux-mêmes: Ganni a clôturé l’exercice 2021 avec un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et les États-Unis sont son principal marché. Actuellement, la maison gère un réseau de 40 boutiques dans le monde entier, est distribuée dans plus de 600 points de vente et emploie plus de 400 personnes dans ses bureaux à Copenhague, Londres, New York, Paris et Shanghai. En 2017, le fonds d’investissement associé à  LVMH, L Catterton, a pris une participation majoritaire dans son capital. Mais l’été dernier, des rumeurs ont débute sur une possible vente de ses actions pour la coquette somme d’environ 700 millions de dollars. Entretien.

FashionNetwork.com: Racontez-nous le processus créatif de cette dernière collection. Quelles sont les surprises qui nous attendent?

Ditte Reffstrup: Cette collection est l’une des plus spéciales que j’aie jamais imaginées. Après la pandémie et tout ce qui s’est passé dans le monde, nous avions tous besoin de savoir ce que nous faisions et pourquoi. Il y a eu un énorme changement et les choses ne seront plus jamais comme avant. C’est de là que je suis partie pour imaginer cette collection.

La saison dernière, nous avons développé le concept de papillon avec l’artiste Esben Weile Kjær, une créative talentueuse avec laquelle nous travaillons depuis des années. C’est quelque chose d’extrêmement intéressant. Quand on est plongé dans le quotidien, casser la routine est difficile. Et son regard nous a permis de devenir une sorte de papillon et d’imaginer la collection de 30 looks que nous allons présenter. Cela représente un processus de métamorphose, d’acceptation de la différence et de la diversité. En général, j’ai l’impression que c’est une collection plus féminine que les précédentes, avec une forte présence des robes. Nous avons dû relever un défi de taille: trouver une matière pour remplacer le cuir, que nous n’utilisons plus depuis des années dans nos collections.


FNW : Qu'est ce qui vous a inspiré dans ce thème?

DR : 
Je travaille depuis longtemps dans l’industrie de la mode et j’ai toujours été très frustrée par les limites que l’on s’impose pour donner l’impression d’appartenir à certains groupes. J’ai toujours détesté devoir être ou paraître ce que je ne suis pas pour pouvoir faire ma place. Pour moi, accueillir tout le monde au sein de ma marque est fondamental depuis son lancement. Les entreprises devraient prendre soin de leurs communautés et faire leur possible pour les aider à être mieux dans leur peau, plus que toute autre chose. Cela paraît peut-être un peu trop hippie, mais ce concept me semble très attractif et résonne parfaitement avec notre vision de l’écologie et de la responsabilité sociale. La métamorphose des papillons s’est imposée comme la meilleure manière de représenter le processus de transformation que subit Ganni depuis onze ans. Nous avons su puiser dans notre patrimoine pour évoluer vers l’avenir.

FNW: Où et quand trouvez-vous l’inspiration?

D.R.: Je suis une personne très créative. Je n’arrive pas à appuyer sur le bouton OFF et à mettre mes pensées en pause. Je m’inspire en permanence de tout ce qui m’entoure, même quand j’ai l’impression de ne rien ressentir du tout. D’un coup, je croise quelqu’un dans la rue ou j’écoute une chanson et la magie opère. De plus, j’ai la chance de travailler avec une équipe éminemment talentueuse, ce qui contribue à être en état d’ébullition créative constante.

FNW: Levi’s, Barbour, Juicy Couture… Ces derniers temps, votre marque a enchaîné les collaborations. Allez-vous poursuivre dans cette voie? Quelle est la stratégie et qu’apportent ces partenariats?

D.R.: Les collaborations me passionnent. Je crois que quand deux marques s’unissent et partagent leurs idées, quand une collaboration est le résultat d’un lien fort entre les deux parties, on trouve un équilibre unique dans le processus créatif. Je suis très fière d’être en mesure d’inviter des personnes et des marques à collaborer avec nous. J’ai beaucoup de chance. J’adore ça et je suis complètement ouverte à de futures collaborations avec d’autres artistes et avec des petites et grandes marques.

Cela m’apporte beaucoup. Je le sais aussi grâce à mon expérience du football: lorsque l’on fait un sport collectif, on apprend très vite qu’on n’avance pas tout seul et que les victoires sont le fruit du travail de l’équipe entière. Il faut jouer ensemble, révéler tout le potentiel de ses partenaires et aller de l’avant.


Lieu du défilé prévu le jeudi 2 février - Instagram: Ganni


FNW: Priya Matadeen vient juste de rejoindre l’équipe. En tant que responsable de marque, en quoi consistera son poste? Comment allez-vous vous partager les responsabilités?

D.R.: Je suis tellement contente de pouvoir travailler avec elle. Pour continuer les références au foot, j’ai l’impression que je viens de recruter Messi dans mon équipe. Son travail va consister à harmoniser les relations publiques, le marketing, la production, le département créatif… C’est une espèce de directrice sportive qui a une vision d’ensemble.

FNW: D’où vient le succès de Ganni, selon vous?

D.R.: Sincèrement, je n’y ai jamais beaucoup réfléchi. Je ne prends pas le temps d’y penser, mais j’avance pas à pas pour ne pas briser le sortilège. Mais si je devais choisir un élément fondamental, je dirais que c’est le travail d’équipe qui fait notre succès.

Nous n’avons jamais eu peur d’embaucher des personnes meilleures ou plus talentueuses que nous et c’est l’une de nos principales forces. Je suis absolument convaincue que tous les membres de l’équipe créative sont meilleurs que moi et cela me permet d’apprendre des choses tous les jours. Aux débuts de la marque, nous avons été très bons en recrutement et nous avons embauché des personnes avant même de savoir quel poste elles occuperaient. Nous nous sommes fiés au potentiel et à l’énergie que nous percevions quand nous rencontrions les candidats. Et puis, je crois qu’il faut absolument être authentique et que cela se reflète dans la marque. Lorsqu’on essaie de se faire passer pour ce que l’on n’est pas, cela se voit vite et cela ne fonctionne pas.

FNW: La marque a survécu à son succès. Comment avez-vous réussi à conserver votre image de marque pointue et de niche malgré votre internationalisation et votre volume de chiffre d’affaires?

D.R.: Ici encore, nous avons pu compter sur notre équipe. Mais je crois que beaucoup de gens seraient surpris s’ils savaient que nous ne sommes pas non plus si grands. Au Danemark, nous sommes connus, mais à l’étranger, nous sommes encore tout petits. D’après ma longue expérience du retail, j’ai tendance à avoir confiance dans les clients.

Nous proposons un bon produit qui reflète mon style, à un prix démocratique et accessible, ce qui était la priorité quand nous avons commencé. Je veux que tout le monde puisse se rapprocher de la marque, même des personnes très différentes entre elles, en économisant pour s’offrir une pièce en particulier ou en achetant d’occasion sur Vinted. Toucher tout le monde a toujours été central dans notre démarche.

FNW: Il y a récemment eu des rumeurs concernant une possible cession de la participation de L Catterton dans la marque. Où en sont ces négociations? Comment travaille-t-on avec un fonds à son capital?

D.R.: Pour le moment, rien de nouveau à l’horizon. Pour moi, travailler avec eux a été très enrichissant pour développer la marque à l’étranger. Ils ont aussi fourni de grands talents à l’équipe. Évidemment, ces partenariats ne sont jamais faciles et demandent du travail, mais je crois qu’ils nous ont beaucoup apporté. Si L Catterton décide de vendre, je resterai là où je suis actuellement. Comme je le disais récemment à une amie, j’aime toujours autant aller au bureau et faire ce que je fais avec mon équipe. Je me sens très privilégiée, travailler chez Ganni a toujours autant de sens pour moi.

L Catterton ne nous a jamais rien imposé, même en ce qui concerne la responsabilité environnementale. Si nous n’avions pas fait le choix d’une croissance durable et responsable, notre entreprise serait deux fois plus grande aujourd’hui. Mais nous n’avons jamais voulu renoncer à nos valeurs écologistes. Même s’ils avaient parfois un peu plus de mal à comprendre certaines décisions découlant de cet engagement, ils ont toujours respecté notre vision. Et je crois qu’ils sont fiers de compter une marque comme Ganni dans leur portefeuille.

FNW: Au cours des derniers mois, vous avez ouvert des boutiques stratégiques dans des capitales comme Berlin et Paris. Allez-vous poursuivre cette stratégie? Quelle sera la prochaine inauguration?

D.R.: Cette année, nous avons prévu d’ouvrir trois espaces en Chine, et nous allons très bientôt inaugurer une nouvelle boutique à Hambourg. Nous avons des projets très intéressants.

FNW: Les points de vente physiques sont-ils vraiment importants pour votre marque, qui fonctionne très bien en ligne?

D.R.: D’après moi, ils sont fondamentaux. Personnellement, je ne me considère pas comme une grande adepte du e-commerce… même si je suis de près Vestiaire Collective. Je vois la boutique comme un lieu de rencontre fondamental pour la communauté, pour bien connaître la marque. En fait, j’aime mettre un visage sur les personnes et savoir ce qu’il y a vraiment derrière les firmes. J’aime cette expérience, même si beaucoup de gens la jugent passée de mode, et je veux la préserver.


Ganni - Printemps/été 2023 - Collection femme - Danemark - Copenhague © ImaxTree - © ImaxTree


FNW: Quelle stratégie mettez-vous en place sur les réseaux sociaux et comment utilisez-vous les nouveaux formats pour continuer à promouvoir votre marque?

D.R.: En fin de compte, je crois que nous continuons à appliquer la stratégie que nous avons toujours eue. Nous créons des contenus organiques et en adéquation avec notre philosophie, en lien étroit avec notre communauté et avec les vraies personnes qu’il y a derrière la marque. Les contenus inspirants le sont parce que les gens s’y identifient. Nous ne cherchons pas à paraître sophistiqués et artificiels; nous sommes accessibles et réels.

FNW: Ce principe de réalité a toujours été fondamental dans la manière dont vous traitez les femmes qui représentent la marque. Que signifie pour vous l’émancipation féminine?

D.R.: Bien entendu, c’est un sujet fondamental pour nous. Plus de 90% de nos employées sont des femmes. Je ne vais pas dire aux autres ce qu’ils ont à faire, mais pour moi, c’est indispensable et cela doit se refléter dans mes créations et ma façon de comprendre la marque.

FNW: Comment décririez-vous les femmes qui portent Ganni?

D.R.: Je les vois comme des femmes libres à fort caractère, qui ont confiance en elles. Quand je travaillais dans le retail, je me rappelle que certaines clientes, quand elles ne se sentaient plus représentées par une marque, nous demandaient ce qu’elles pourraient acheter à la place… comme si elles avaient en permanence des doutes sur leur personnalité. Avant d’acheter des vêtements, il faut savoir qui on est et ce que l’on aime. L’inverse ne fonctionne pas. D’après moi, Ganni représente le charisme des personnes qui entrent dans une pièce et que tout le monde remarque immédiatement. Je vois la beauté comme la capacité à générer cette fascination.

FNW: La marque continue à défiler à Copenhague au lieu de choisir une autre grande capitale. Pourquoi?

D.R.: J’aime toujours autant Copenhague. C’est chez nous, notre cœur est ici et faire partie de cette Fashion Week est une évidence. Il ne faut jamais dire jamais, mais pour l’instant, nous sommes contents d’être ici et nous pouvons compter sur le soutien inconditionnel de notre communauté locale et de l’organisation de la Semaine de la Mode.

FNW: Comment vous imaginez-vous dans quelques années?

D.R.: C’est difficile à dire, parce que j’aime beaucoup ma vie actuelle. J’ai beaucoup appris en voyant évoluer mes parents maintenant qu’ils ne travaillent plus. Je suis quelqu’un qui aime beaucoup travailler, même si cela peut sembler négatif pour beaucoup de gens. J’en ai besoin pour trouver un équilibre dans ma vie. Je respecte totalement les personnes qui font ce choix, mais je deviendrais folle si je me contentais de m’occuper de mes enfants.

Évidemment, le travail n’est pas toujours facile et j’ai parfois l’impression de ne plus en pouvoir ou je suis obsédée par ce que je fais pendant une période… Mais en vérité, j’aime ce rythme. Je le disais justement à Nicolai (NDLR: Nicolai Reffstrup est le mari de Ditte et le PDG de la marque): il n’y a pas un jour où je ne ris pas au travail. C’est l’une des choses les plus importantes de ce projet. Dans le secteur de la mode, nous avons souvent tendance à détester les choses, mais nous devons aussi garder en tête que c’est un secteur très libre où nous pouvons créer, collaborer, apprendre et rencontrer des personnes très intéressantes en permanence.
 

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