Publicités
Publié le
31 mars 2023
Temps de lecture
10 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

En 2023, la grande remise en question des marques nées dans le digital

Publié le
31 mars 2023

Sézane, chez la femme, Asphalte chez l’homme. Les deux labels français nés dans les années 2010 s’imposent comme les fleurons d’une génération d’acteurs du prêt-à-porter qui ont vu le jour sur le net. DNVB: quatre lettres qui étaient synonymes d’une réussite nouvelle, à l'aurore des années 2020, pour des sociétés proposant des biens de consommation d’abord via leur site marchand en ligne . Ces "digital native vertical brands", en établissant une relation directe avec le consommateur, ont imposé un nouveau paradigme commercial et clairement transformé la donne pour les acteurs historiques, en particulier dans le prêt-à-porter.


Nées sur le net, les marques de mode dites DNVB doivent se réinventer - Shutterstock



Adoptées par des jeunes actifs aux revenus conséquents, s'appuyant sur des discours souvent éthiques ou responsables, exploitant en particulier le concept de la précommande pour "ne produire que ce qui est déjà choisi par le consommateur", ces sociétés ont pour beaucoup vu leur activité s'envoler durant les périodes de confinement liées à la lutte contre la pandémie de Covid-19. Mais la période post-crise sanitaire, la guerre en Ukraine, couplées à des évolutions réglementaires du web, est aussi source de remise en question pour nombre de ces sociétés.

"Grâce à vous, nous avons prouvé qu’il était possible - même en pleine crise du Covid - de développer une marque de mode durable sur le plan environnemental comme financier, ont expliqué à leur communauté en début d’année les fondateurs du label Réuni créé fin 2019 par Alice Bailly et Adrien Garcia. Et pourtant, Réuni va s’arrêter. Du moins, Réuni telle que vous la connaissez. Rassurez-vous, ce n’est pas un arrêt définitif. Car plus que jamais nous avons foi en notre projet et en sa nécessité ", ont-ils glissé sur leur site. 

Ces derniers mois, Atelier Particulier a annoncé suspendre son activité, Hopaal et Forlife ont expliqué à leur communauté revoir leur modèle et Adresse cherche un nouveau partenaire financier. Recherche de nouveau modèle, développement de nouveaux axes ou remise en question des objectifs de la marque: ces sociétés, pourtant encore jeunes, doivent faire face à une profonde période de transformation.

Une augmentation du coût d'acquisition client



Des décisions, qui font écho à l’initiative née il y a près d’un an d’un collectif spontané d'une quarantaine de jeunes entreprises, baptisé We are Lucioles. Celles-ci alertaient déjà de l’impact sur leur modèle économique de nouvelles règles de protection des données (RGPD). Ne pouvant plus suivre et cibler aussi précisément qu’auparavant les visiteurs de leurs sites ou de leurs réseaux sociaux, ces acteurs ont vu leur efficacité opérationnelle s’éroder… et leurs coûts d’acquisition-clients s’envoler.

Récemment, une étude du Digital Native Group et de Payplug relevait que pour l’ensemble des DNVB, le coût d’acquisition pour un client était passé de 26 euros en 2021 à plus de 32 euros en 2022 et que celui-ci continue de croître. Dans la mode, le coût d’acquisition d’un client est de près de 28 euros pour un panier moyen annoncé selon l’étude à 137 euros. Face à ces croissances, la très grande majorité des DNVB ont ainsi revu leur stratégie digitale.
 
Cette augmentation des coûts d’acquisition couplée aux modifications des algorithmes des plateformes de réseaux sociaux ont rendu moins visibles un certain nombre de marques. Et cela a été le premier choc pour ces acteurs qui commençaient à se structurer. Pour nombre d’observateurs aguerris du secteur, une erreur fondamentale s’était nichée dans le modèle d’activité de certains de ces nouveaux acteurs du prêt-à-porter. En effet, en vendant directement au consommateur, ceux-ci opéraient avec de très fines marges et affichaient ainsi un rapport qualité-prix engageant, en renforçant leur propos sur la transparence. Or, dès les premières augmentations de coûts, leur rentabilité s’est trouvée attaquée.


Vincent Redrado, fondateur du DNG - DNG



Pour Vincent Redrado, qui dirige le Digital Native Group: "ce n’est pas étonnant que le contexte ait malmené certaines DNVB, mais ce n’est pas une généralité. Certains ont surfé pendant 4-5 ans sur la facilité de développer un e-commerce, mais n’avait ni modèle économique, ni un socle technique fiable. Ce qui est certain c’est que le modèle de base organisé autour du digital avec une belle construction de marque, est obsolète.".

Dans le masculin, c'est le concept parisien Adresse, dirigé par Alexandra Mulliez qui, placé en redressement judiciaire, cherche actuellement des partenaires financiers. Sa directrice souligne que l'entreprise, déjà confrontée à un remboursement de PGE mais aussi d'un crédit d'impôt collection, a dû faire face à l'augmentation des coûts d’acquisition. Face à cette hausse et à l'efficacité en baisse du tracking du client, l'entreprise a testé d'autres leviers. "Nous avons investi plus fort sur l'e-mailing, auprès de notre base, et avons débuté dans l'influence il y a six mois en collaborant avec des personnalités du monde sportif". La marque a également choisi de réinternaliser l'animation e-commerce à l'automne dernier, auparavant confiée à une agence.

"10.000 euros par mois en Facebook et Instagram"



Chez Forlife, lancé en 2018 par Lucas et Séverin Bonnichon, qui opèrent par ailleurs de longue date dans le wholesale avec Cuisse de Grenouille, la remise en question a aussi été radicale. "Quand on a créé Forlife, notre objectif c’était de s’appuyer sur des valeurs fortes: pas de surproduction grâce à la précommande, pas de pub et la volonté de travailler le produit en profondeur. Mais on a vu de plus en plus de concurrents arriver et certains arriver en martelant de la pub. En réaction, on a commencé à faire de la pub. Et les coûts d’acquisition ont explosé et en plus il est de plus en plus compliqué d’évaluer quel est le retour sur investissements. Les gens nous voyaient et notre trafic augmentait à chaque publicité. Mais c’est le système de l’enchère, celui qui dépense le plus est le plus visible. C'est sans fin. Cela rapportait du chiffre mais pas rentable. Nous nous sommes pris dans la frénésie, nous avons multiplié les lancements de produits pour donner de la nouveauté. Notre budget a doublé ces deux dernières années et nous dépensions 10.000 euros par mois en Facebook et Instagram. On a pris la décision d’arrêter la publicité. Et je reste convaincu que le bouche à oreille reste le meilleur levier.".


Boutique expérience de Forlife dans le Marais parisien - Forlife



Au final, la marque économise plus de 100.000 euros sur l’ensemble de l’année et entend travailler différemment sur les réseaux sociaux, en misant sur la créativité, en croisant aussi les communautés via des collaborations qui ont du sens, afin de fidéliser les clients historiques et d’en séduire réellement de nouveaux.

Mais au-delà de la problématique digitale, les marques ont en prime vu s’accumuler les défis à relever. Avec en particulier une hausse du prix des matières premières et des coûts de transports, des retards sur les livraisons des produits, tout ceci couplé à une inflation liée au conflit en Ukraine qui a commencé à grever les budgets des consommateurs.

Hausse des coûts de fabrication et de matières



Les DNVB françaises, qui avaient pour beaucoup mis sur pied des relations avec des usines et ateliers au Portugal ont vu nombre d’acteurs qui faisaient produire au grand export rechercher des capacités en Europe. Les prix, sous la pression des hausses de prix des matières premiers se sont envolés. Adresse précise que cela lui coûté un point de marge et Forlife donne l’exemple d’un chino dont le coût de production est passé de 36,9 à 45,1 euros hors taxe. Sans compter que face à cette hausse de la demande certaines matières étaient en rupture ou les capacités de production saturées.


Sur son site, l'équipe d'Atelier Particulier prépare la nouvelle approche de son activité - Capture d'écran



Confronté à ce tableau, le duo fondateur d’Atelier particulier, lancé en 2013 par Fulbert Lecoq et Benjamin Legourd avec l’ambition de démocratiser l’accès à des produits réalisés par des ateliers d’exception, a décidé de mettre en pause leur entreprise. Les entrepreneurs se trouvent confrontés à l’"effet ciseau" entre une consommation mode en baisse avec l’inflation et leurs coûts qui explosent. Le marché du moyen de gamme est sous pression et les marques ont l’option d’aller vers le bas de gamme ou de la montée en gamme, constatent-ils. Être une DNVB, n’est visiblement plus un argument. "Pour résumer notre vision, nous pensons que le modèle DNVB est intrinsèquement mort. Ce qui ne signifie pas que les marques qui en sont nés le sont nécessairement. Mais les clés de succès des DNVB sont peu à peu devenues des clés ouvertes à tous. Être DNVB n'est plus un signe distinctif, explique Benjamin Legourd. Donc nous recentrons prochainement Atelier Particulier, sur la même mission de révéler les savoir-faire, et en faisant les choses différemment.".

Que ce soit pour Atelier Particulier, qui veut articuler son activité en redémarrant son approche autour du Club des 1042, emmenant, moyennant un droit d'entrée à ce club de privilégiés, des partenaires et des clients fidèles vers la découverte de produits plus exclusifs ou Réuni, qui promet de: "pousser notre propos à son paroxysme. Être plus radical encore dans notre démarche. Revenir à l’essentiel, à l’essence même de notre projet. Repartir du début. Et revenir au temps long. Créer moins de pièces. Prendre encore plus le temps", plusieurs acteurs se repositionnent. Chez Forlife, l’ensemble des prix ont été revus à la hausse et les questions du prix des transports a aussi été remise à plat, avec l’ambition d’"avoir un modèle sain" et poussant l’approche qualitative qui permet de fidéliser les clients. Chez Hopaal, c’est un développement du réseau de multimarques qui est à l’œuvre.

Faire le dos rond et être agile



"Dans une période de grosses bourrasques, il faut faire le dos rond et la plupart ont revu leur business plan et doivent cadencer la croissance. L’avantage des DNVB, c’est l’agilité. Ce sont des entreprises encore jeunes qui peuvent s’adapter et être opportunistes", analyse Vincent Redrado qui souligne qu’après les croissances des années Covid, il y a une rationalisation des achats mais que la dynamique reste positive pour le secteur des DNVB.
 


La nouvelle boutique Sézane et Octobre, rue des Blancs Manteaux à Paris - FNW


 
Selon l’étude du DNG, le nombre de DNVB est d’ailleurs en croissance, avec 715 entreprises tous secteurs confondus, réalisant plus de 300.000 euros de chiffre d’affaires et les deux-tiers de leur activité en ligne. Ces marques, qui se sont aussi multipliées, ont aussi un peu plus morcelé un marché du prêt-à-porter peu concentré et avait, après deux années fortes en digital, envisagé une année 2022 bien plus dynamique.

A l’instar de Sézane qui vient d’ouvrir un nouveau magasin dans le Marais parisien ou d’Asphalte qui propose un espace éphémère d’un mois rue de Turenne à Paris, la plupart des labels ont compris qu’ils devaient développer d’autres axes que leur e-shop. C’est aussi le cas de Cabaïa ou Unbottled qui continuent d’ouvrir des magasins ou encore Izipizi qui vient d’ouvrir à Londres.
 
"Les marques qui fonctionnent bien ont un positionnement accessible. Elles ont plus de mal à recruter mais se tourne vers des relais de croissance, font du wholesale, ont leur propre retail et l’e-commerce pèse 50%, 40%, car les groupes historiques ont aussi pris le pas de la vente directe au consommateur, explique Vincent Redrado. Une partie de leur stratégie doit être orientée vers le retail et le wholesale, mais le digital reste essentiel. La Homepage est la vitrine de la marque, mais les autres pages doivent être pensées pour vendre. Elles doivent travailler pour augmenter leur taux de conversion. Le taux d’Amazon est de 2,8% et les DNVB de l’habillement sont autour de 2%.".


Boutique Cabaïa, dans le Marais à Paris - FNW



Pour le dirigeant, les chantiers sont multiples: faire grandir le panier moyen, investir dans le mobile, travailler sur le taux de réachat… L’époque du gain de notoriété soudain sur Instagram ou Tiktok semble en partie révolue. Les marques doivent donc travailler sur le référencement, imaginer des campagnes originales et utiliser de nouveaux arguments.

Dans cet esprit, afin de mieux connaître les clients qui achètent ses produits en multimarques, la marque Cabaïa propose une garantie à vie de ses produits. L’acheteur, pour bénéficier de ce service doit remplir un formulaire. La marque connaît ainsi son client et possède ses coordonnées tout en lui apportant une satisfaction supplémentaire. Exemple que du tout digital, les DNVB doivent continuer la migration vers l’omnicanal.

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com