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31 mai 2023
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Comment le Maroc veut renforcer sa position de partenaire textile des marques européennes

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31 mai 2023

De toutes parts, des bâtiments modernes et design émergent à Casablanca. En quelques mois, de nouveaux quartiers sortent de terre. Une dynamique qui se fait sentir au Maroc, bien au-delà de la capitale économique. Et l'industrie textile, pilier de l'activité du pays avec ses 1.600 sociétés, est à l'image de cet élan : en plein essor.


Le salon MIM était l'occasion de conférnces sur l'industrie textile marocain - DR



A l’occasion du salon MIM, qui se tenait pour sa 20ème édition à Casablanca du 10 au 12 mai, l’industrie textile était en opération séduction. Plusieurs dizaines de donneurs d’ordre potentiels, jeunes marques espagnoles, labels français ou industriels du nord de l’Europe avaient été invités par les industriels marocains afin de présenter leur savoir-faire.

Une évolution pour le pays, qui conserve l’image de grand fournisseur d’Inditex, le géant espagnol de la fast-fashion qui commande toujours de très importants volumes dans le Royaume. Mais après la crise du Covid, et les difficultés pour les marques européennes de se faire livrer par leurs fournisseurs européens, le rapatriement d’une part des productions a bénéficié aux industriels marocains.

Entre 2019, l’industrie marocaine du textile est passée de 198.000 et 222000 emplois. L’activité à l’export aussi progressé de 36 milliards de dirhams à 41,5 milliards de dirhams (3,5 à 4 milliards d’euros), sur 64 milliards de dirhams. Et sur les trois premiers mois de 2023, l’export progresse de 16%. Le textile est le premier pourvoyeur d’emplois industriels du pays. Et les perspectives sont prometteuses, estime Anass el Ansari, président de l’Amith.
 
 « Le nearshoring est une réalité, confirme Meriem Bentires, directrice des opérations de Confetex Albo qui travaille avec les noms du luxe accessible principalement français. Beaucoup de clients veulent renforcer leur production dans des zones proches et ne pas être dépendants de problèmes de livraisons. Par ailleurs, nous avons aussi un report de production suite à la guerre en Ukraine et certains acteurs étudient une alternative à la Turquie, craignant une instabilité politique dans le pays. Mais les acheteurs ne sont pas ravis d’avoir à trouver de nouveaux fournisseurs. Et souvent ils trouvent que le Maroc a des prix élevés par rapport à l’Europe de l’Est. Il faut donc que nous soyons en capacité de leur proposer plus de qualité dans la cotraitance et le produit fini ».

La géopolitique internationale semble donc être favorable au développement du Maroc. Toutefois, si après une année 2020 très compliquée, le pays a vu son industrie redémarrer, il a surtout bénéficié de l’élan international sur la production d’habillement. Entre 2020 et 2021, les exportations globales de vêtements ont bondi de 22%, analyse l’Institut français de la mode (IFM). L’institut met aussi en avant, en reprenant les données Eurostat, que certes le Maroc a vu ses exportations à l’attention de l’Europe des 27 progresser de plus de 18% entre 2019 et 2022 en atteignant 3 milliards d’euros d’exportations et devance toujours la Tunisie, mais que dans le même temps des pays comme le Pakistan et le Myanmar l’ont doublé dans la hiérarchie des fournisseurs de l’UE. Aussi un constat apparaît clairement dans cette période : le pays va devoir s’armer pour répondre à une demande différente de celle qu’il avait l’habitude de traiter. 

Futurs stylistes et modélistes aux approches responsables



« Il faut accompagner les sous-traitants à aller vers la cotraitance et le produit fini, affirme Omar Sajid, vice-président de l’Amith. Des réseaux de formation se développent. A l’Académie de mode de Casablanca nous formons les futurs stylistes et modélistes aux approches responsables, à l’excellence de l’industrie de la mode, à la valorisation des savoir-faire locaux, pour pouvoir répondre et proposer des solutions au service de l’industrie marocaine ».

La plupart des marques, françaises, européennes ou israéliennes rencontrées cherchaient des partenaires pouvant assumer des volumes de quelques centaines de pièces. Pour de jeunes marques européennes, ouvrir un nouveau pays de sourcing est toujours un challenge, mais l’inflation sur les prix des matières et des productions à accélérer pour certains la nécessité de trouver de nouvelles zones de production. Pour les industriels répondre à cette demande nouvelle implique une façon de travailler différente.

« Il faut savoir s’adapter, détaille Fernando Gregorio, directeur des entités Aryans, MMC et Marlow. Nos trois entités proposent des solutions différentes pour des clients qui recherchent des finitions et un travail différent. Je pense que sur le sujet de l’impact carbone, l’industrie marocaine a un atout à jouer. Mais les clients européens attendent toujours plus de flexibilité et de polyvalence ».

Mais, même si dans son guide du salon l’Amith précisait les capacités et minimum de production de chaque exposants,  les industriels présents dans la confection et qui ont l’habitude d’importants volumes de production, ont pu regretter un manque de visiteurs pouvant assumer des commandes importantes. « Nous avons très bien travaillé l’an passé, après des années Covid compliquées. Nous avons depuis le début de l’année une belle progression. Nous sommes toujours présents pour soutenir les initiatives de l’industrie, mais nous n’avons eu quelques contacts, concédait Stéphanie Savournin , directrice commerciale de la société Kiron, spécialiste du knit basé à Casablanca, au deuxième jour du salon.  

A l’instar d’autres acteurs européens, les groupes français, comme Kiabi, Beaumanoir ou SMCP ont déjà leurs propres bureaux sur place et n’étaient pas forcément présents sur le MIM.


Fatima-Zohra Alaoui directrice générale de l'Amith - DR



Au sein de l’Amith, l’ambition est de renforcer la place de partenaire de production du Maroc pour les groupes européens qui représentent aujourd’hui la majorité de l’activité. « Nous avons de nouvelles opportunités incroyable comme le mécanisme d’ajustement en carbone à la frontière européenne à partir de 2026. Nous pouvons faire du Maroc une plateforme pour le sourcing durable, avec une approche allant de la création jusqu’à la sortie d’usine, estime Taha Ghazi, directeur des Industries du Textile et du Cuir au ministère marocain de l’Industrie. Le volet écologique et social est l’enjeu premier. Nous avançons avec l’installation d’écoparcs pour les unités de production, nous avons aussi comme argument majeur la production d’énergie verte, avec l’éolien et le solaire qui conforte notre capacité à organiser une filière textile décarbonée ».

Depuis les années 80, les matières sont importées : et les industriels n’ont donc pas de maîtrise sur l’impact carbone en amont de leur intervention. Mais le Royaume a l’intention de faire changer les choses.

L'amont est primordial pour la compétitivité



« Le maillon faible est l’amont. Le Maroc importe les intrants. L’ambition de l'Amith est d’intégrer la chaine de valeur pour augmenter la valeur ajoutée et réduire la dépendance aux importations, explique Fatima-Zohra Alaoui, la très dynamique directrice de l’organisation. L'amont est primordial pour la compétitivité du secteur. Nous avons la chance d'être à 14km de l’Europe au nord. Et la matière première est aux portes du Maroc au Sud, avec le Bénin et ses productions de coton. Il faut travailler avec des pays partenaires, pour remonter la chaine de valeur. La prise de conscience n’est pas récente. Mais nous avons à présent une feuille de route claire, permettant des financements privé et publics ».

Le Maroc a ainsi officialisé cette année une charte d’investissements avec des primes liées aux montants investis pour des unités de production industrielle, une implantation dans certaines régions ou des projets permettant l’embauche de plus de 150 salariés marocains. Selon les autorités, un grand projet d’un groupe espagnol a déjà été validé et des industriels portugais mais aussi chinois et italiens étaient présents à Casablanca pour envisager des implantations d’unités de confection, mais aussi d’activité de la chaîne amont.


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En la matière, le pays entend se focaliser sur plusieurs points. L’Amith avance que la volonté est de construite progressivement une industrie durable et l’a affirmé avec le leitmotiv Dayem, qui signifie durable en arable et qui est le nom de sa feuille de route mise en place fin 2021. Nous aspirons à drainer des investissements dans l’amont et le tissu bancaire est aussi prêt pour cela. Un groupe espagnol a signé un projet à 696 millions de dirhams et visant la création de 5000 emplois pour installer à Tanger une usine sur la circularité et le traitement des déchets. Le Maroc est réputé pour ses réassorts rapides. En intégrant l’amont, le processus pourrait être encore plus rapide et cela nous permettrait de multiplier la valeur ajoutée apportée par notre industrie. Mais l’industrie amont demande des investissements plus importants que la confection. Il y a cinq à six étapes entre le fil et la confection. Il ne sert à rien d’avoir une filature sans tissage. Donc notre volonté est de remonter la chaîne avec la tenture, la sérigraphie, l’impression. Cela prend du temps de construire cette chaine. Nous avons pris le temps de mettre en place les fondamentaux. Il faudra ensuite 3 à 5 ans pour monter en charge.

Autre atout potentiel que le pays entend développer : le chanvre industriel. L’Etat marocain a autorisé la culture de la plante qui devrait s’épanouir dans le climat local. « Cela s’inscrit dans un contexte climatique mondial et marocain, estime Fatima-Zohra Alaoui. Plus des trois quarts des textiles mondiaux sont issus du pétrole et tout le monde sait que ce n’est pas durable. Qu’il va falloir revenir sur des fibres naturelles. Nous sommes convaincus que le chanvre et la fibre de demain, huit fois moins gourmande en eau que le coton. Et le Maroc est très bien positionné ».

Reste que cette transformation va nécessiter des investissements, que ce soit pour développer la culture du chanvre comme déployer une industrie de l’amont textile. SI certains acteurs marocains pourront faire des investissements, le royaume doit aussi parvenir à rassurer et attirer les industriels internationaux pour apporter des fonds mais aussi de l’expertise technique. Car si l’opportunité existe, la fenêtre de tir peut aussi être limitée. L’Asie reste le premier fournisseur de l’Europe, drainant 75% des commandes. La zone méditerranéenne, avec la Turquie, le Maroc et la Tunisie, ne parvient à capter que 17% des demandes des marques et donneurs d’ordres d l’UE. Et ceci malgré l’atout de la proximité. Et il n’est pas dit que les entreprises européennes optent pour le responsable et la proximité. En Asie, les industriels s’organisent afin de conserver leurs positions.

Le Bangladesh a largement investi pour déployer une vingtaine d’usines de denim flambant neuve, selon des spécialistes du secteur qui constatent la montée en puissance du pays. Et en Chine, afin de faire revenir les donneurs d’ordres européens, selon plusieurs acteurs du secteur rencontrés à Casablanca, les usines abaissent actuellement les minimas de commande et se montrent très flexibles sur leurs tarifs.

Alors que les marques et enseignes veulent ménager leurs marges ces arguments pourraient freiner les ambitions de production euro-méditerranéennes.

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